and the shadow of







the day will embrace







the world in grey

☽J'étais rentré tôt cet après-midi. Après une excursion en ville pour un article sur une tentative de cambriolage, j'étais directement retourné au loft pour écrire, photos à l'appui. Il me suffirait dans l'envoyer par mail et le tour était joué. C'était également pour cette facile mobilité et mon indépendance que j'adorais toujours autant mon métier. J'avais toujours rêvé d'être journaliste et je l'étais devenu. Certes, mon ambition étant jeune était de devenir reporter photographe, mais j'avais délaissé ce rêve d'adolescent pour un job beaucoup plus stable. Je l'adorais tout autant et je ne regrettais pas mon choix. J'étais toujours passionné par les faits divers, l'écriture et l'information. Le Newton Post était le Saint-Graal pour les journalistes en ville et surtout j'avais l'un des hommes les plus importants du coin dans la poche, même s'il me donnait rarement des informations importantes en avant-première. Dante séparait très bien sa vie privée et professionnelle et je devais bien avouer que je ne lui en voulais. Je m'en voudrais énormément s'il se faisait virer à cause de moi. Alors je patientais comme tous les autres journalistes et je m'informais autrement. J'avais des sources et mon homme devait bien le savoir.

Je me servais une nouvelle tasse de café. J'en étais probablement à la quatrième ou cinquième. Je ne comptais plus. J'avais perdu le compte au fil des mots que j'écrivais pour mon rédacteur en chef. J'allais me réinstaller à mon bureau face à mon ordinateur et son clavier quand on sonna alors à la porte. A tous les coups, Lysandre avait encore oublié ses clefs. Je soupirais. Quelle tête en l'air ! Ce gamin me sortait souvent par les yeux mais j'avais fini par m’accommoder de sa présence, même si je restais méfiant et sceptique face à sa reconversion de gentil adolescent. « Me dis pas que t'as encore oublié tes clefs, Lys... » Dis-je de manière haute et forte pour qu'il entende à travers la porte. J'ouvris enfin, m'écartant pour qu'il puisse entrer dans une totale indifférence à mon égard comme à son habitude. Mais personne ne posa un pied dans notre entrée. Surpris, je regardais alors qui était là et souris, légèrement gêné par la situation. Je passais une main dans mes cheveux et m'excuser. « Désolé, je vous prenais pour quelqu'un d'autres. » J'avais déjà vu ce visage. Dante me l'avait présenté mais son nom m'échappait. Je le regardais alors que nous restions comme deux cons dans l'entrée. « Tobias, c'est ça ? » Je voulais confirmation avant d'aller plus loin. « Dante n'est pas encore rentré mais il ne devrait pas tarder. Vous pouvez entrer pour l'attendre si vous voulez. Je peux vous proposer un café pour patienter. » Je m'écartais à nouveau de la porte afin que l'invité surprise de mon homme puisse entrer. « Je suis Auggie, au fait ! Le compagnon de Dante. » Je lui tendais une main pour le saluer.

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the world in grey

☽Tobias passa un dernier coup de torchon sur la table rouge et jaune avant de glisser les quelques pièces laissées en pourboire dans sa poche. Il était bientôt 15h et ils n’avaient eu que trois clients ce midi, que des routiers, et il était clair qu’un autre ne franchirait la porte du Diner pour pénétrer la chaude ambiance du restaurant et son indécrottable odeur de friture avant le soir, et ce soir c’était Ab’ qui était de service. Faisant tourner la petite pancarte en fermé, il descendit à la cave d’où il pouvait entendre quelques voix, dont celle son oncle. Il savait qu’il préparait une chasse dans le sud du Mississipi et même si il connaissait déjà le profil du sorcier, une ordure de la pire espèce et qu’il ne regrettait pas de voir une telle personne disparaitre (dans ces cas-là ses scrupules disparaissaient) mais il s’inquiétait pour son oncle ; seule famille qui lui restait, et la chasse aux sorcières à 65 ans ne lui paraissait pas l’activité la plus saine au monde. Mais quoi qu’il en soit il s’était juré de ne pas y aller alors il n’irait pas. Et puis il fallait bien quelqu’un pour faire tourner la boutique ! Néanmoins ce n’était pas car il ne chassait plus ou presque qu’il fallait arrêter l’entrainement. Après tout il avait un objectif et sa cible n’était pas des plus aisées. Alors chaque jour de la semaine il allait s’exercer avec l’un des nombreux chasseurs qui résidaient à Newton, plus nombreux qu’il y paraissait leur présence était expliquée par le nombre de cibles résidant dans la ville. Quoiqu’il en soit aujourd’hui était le jour où il pratiquait son « sport » en compagnie de Dante, un confrère aussi pacifiste que lui, une perle rare dans la profession. Et comme d’habite il y allait en courant, l’adjoint du chérif habitant a à peine 3 milles de chez lui. Pour contrer au froid de la période de l’année il s’habilla chaudement mais pas trop, pour prendre en compte la chaleur que lui apporterait l’effort et il s’élança dans l’air frais de l’après-midi.

Courir lui vidait l’esprit tout en entretenant son corps et son endurance, ce qui était des éléments essentiels à la survie d’un chasseur. Il ne s’autorisait que très peu des temps pour penser à lui, à la vie normale qu’il s’était construit et qu’il avait abandonnée derrière lui à la mort de son frère. C’était du passé, cela faisait déjà deux ans et il s’y était fait, avec notamment l’aide de la personne qu’il s’apprêtait à voir. Evitant les plaques de glace et la circulation, il arriva finalement à bon port après une vingtaine de minutes de course et sonna à la porte de son camarade d’entrainement et attendit qu’on lui ouvre en soufflant dans ses mains pour les réchauffer. A son plus grand étonnement ce ne fut pas Dante mais un autre homme qui lui ouvrit, un homme que Tobias identifia être le compagnon du chasseur, il l’avait vu à plusieurs reprises, de loin le plus souvent, et avait comme une étrange impression par rapport à lui, comme son instinct qui le titillait ; mais c’était sans doute une bizarrerie de son esprit comme tant d’autres. Quoi qu’il en soit il ne s’était jamais retrouvé aussi prêt d’Auggie qu’aujourd’hui et se trouva dérangé d’arriver si tôt « Oui c’est tout à fait ça ! Je suis désolé, je ne pensais pas arriver en avance ! Et ça serait volontiers pour le café. » Dit-il avec un sourire tout en se saisissant de la main de son interlocuteur pour le saluer. Et là il sut. Il sut à quel type de personne il avait à faire. Tous les poils de son corps se dressèrent et il y eut comme un éclair frissonnant dans son échine. Son instinct, son âme, son esprit tout entier lui criait à la prudence et à l’action. Car il avait en face de lui un sorcier. Il ne savait pas encore quel type, ni comment celui-ci allait réagir, mais une chose était désormais sure pour Tobias, car il pouvait le lire dans les pupilles dans lesquelles étaient plongés ses yeux qu’Auggie lui aussi venait de réaliser à qui il avait à faire.

☽Découvrant Tobias au lieu de Lysandre, je restais un certain temps gêné de la situation. Je venais d'incendier un quasi inconnu pour rien, croyant qu'il était ce gamin arrogant et prétentieux qui vivait sous les combles de notre loft. Surpris d'ouvrir sur Tobias, je restais silencieux et impoli pendant quelques secondes avant de reprendre mon état d'esprit d'origine et d'inviter le trentenaire à entrer pour attendre Dante qui ne devrait pas tarder. Un café ne pourrait pas faire de mal, même si le joggeur aurait sûrement besoin d'un verre d'eau. Il était en sueur et je savais que mon homme et lui appréciaient s'entraîner ensemble et faire du sport tous les deux. Aujourd'hui devait être l'un de leur rendez-vous habituel mais pas de chance, le shérif adjoint n'était pas encore arrivé. Avait-il oublié ? Était-il occupé au département de police ? Aucune idée. J'espérais juste qu'il ne tarderait pas car je ressentais une sensation plus qu'étrange en cet instant. Je ne savais pas ce que c'était, ni même d'où elle provenait, mais je ne me sentais pas en sécurité. « Oui c’est tout à fait ça ! Je suis désolé, je ne pensais pas arriver en avance ! Et ça serait volontiers pour le café. » Je tendais alors ma main et Tobias la serra. Je sursautais. "Flash. Des cris résonnèrent. Des flammes jaillirent et j'aperçus une femme sur un bûcher en train de brûler. Flash. Elle criait de douleur, accrochée à un poteau, pendant que Tobias le regardait souffrir avec une torche en main et un air presque coupable. Flash". Déstabilisé, je reprenais mon souffle subitement et laissais entrer Tobias sans grande conviction. Je venais d'avoir une vision du passé et son contenu m'effrayait énormément.

J'avais senti le danger par ma nature et mon pouvoir avait confirmé ce fait. Je n'étais pas en sécurité. Cet homme était dangereux et d'après ma vision, il tuait sans regret les personnes comme moi. D'après mes connaissances en la matière, seul les sorciers étaient ainsi exécutés sur le bûcher. Dante devait rapidement revenir pour que Tobias puisse aussi vite quitter ces lieux. « Allez-y, entrez. » Je tentais de reprendre mes esprits en refermant la porte. Avait-il compris ce qu'il s'était passé ? Savait-il qui j'étais ? Était-il au courant de ma véritable nature ? Je le fixais. Il me regardait. Je doutais de ces pensées. La télépathie m'aurait bien aidé mais je ne devais rien laisser paraître et agir normalement. Je m'avançais donc vers la cuisine, me demandant si je ne devais pas prévenir Aeris de ma situation ou appeler Dante pour qu'il rentre vite. « Vous avez prévu quoi pour aujourd'hui avec Dante ? Course à pied, je présume ? » Je sortis un mug, discutant avec mon invité surprise par simple courtoisie. Je me répétais sans cesse que je devais agir comme n'importe qui afin de ne pas éveiller les soupçons de cet exécuteur de sorciers ou sinon je terminerai moi aussi sur le bûcher. « Vous le prenez avec du sucre ? » Lui demandais-je en laissant couler le café que je tendais ensuite à Tobias. Mes doigts effleurèrent les siens. Je sursautais encore une fois. "Flash. Un vieil homme marchait. Il était dans le Mississippi et pourchassais un sorcier, arme à la main. Flash. Le vieil homme préparait le bûcher, essoufflé. Sa proie était étendue à ses côtés, attachée et inconsciente. Flash". Je lâchais le mug qui s'écrasa et se brisa au sol. Je venais d'avoir une vision du futur, sans savoir qui était ce vieil homme. Certainement un proche de Tobias, quelqu'un de sa famille, un chasseur de sorcière lui aussi. J'en avais des frissons. « Je suis vraiment désolé. Je vais nettoyer. Je...j'ai...désolé. »

Tobias lâcha la main d'Auggie avec le sourire le plus naturel possible. Mais il était parfaitement forcé. Chacune des parcelles de son corps était en alerte et ses muscles tendus et encore chauffés par la course. Son âme était déchirée entre ce que lui criait son instinct (à savoir éliminer la menace avant qu'elle n'en devienne réellement une ou fuir le plus vite possible) et sa morale et sa conscience qui lui ordonnaient de rester calme en lui rappelant que tous les sorciers n'étaient pas des psychopathes surpuissants qui tuaient tout ce qui passait à l'aide de leurs pouvoirs. Et puis, si Dante était avec Auggie, sans aucun doute ce dernier n'étaient-il pas dangereux. Tobias lui-même appréciait la compagnie de certains de ces êtres réputés surnaturels, même si il ne le criait pas sur tous les toits, et cela lui confirmait ce qu'il avait toujours pensé. Sorciers comme hommes étaient identiques; il y avait des monstres et des anges partout.
Toutefois, alors qu'il pénétrait dans le loft, il n'était pas dans le même état de pensée qu'en arrivant; il était dans un grand état d'alerte, prêt à agir si il y avait besoin, repérant et sorties de secours, dangers dans le logements et potentielles armes, bien que lui même était toujours armé, plus pour une question de sécurité que de principe, mais on ne se débarrassait pas des mauvaises habitudes.

Le chasseur gardait son calme et affichait une sérénité faussée, mais il savait qu'il en était de même pour son interlocuteur, car la conversation qu'ils avaient semblait plus convenue et vide que jamais. « Oui oui, course, endurance...Enfin, comme d'habitude.» Bien sur il n'allait pas lui dire qu'ils s'entrainaient à chasser, Tob n'était pas suicidaire et n'allait pas se mettre à parler préparation pour grillade de sorciers à l'un d'entre eux. D'autant plus qu'il ne savait pas quel type il avait en face de lui, mais il commençait à en avoir quelques idées quand il déclina le sucre avec un sourire poli arguant sur sa préférence pour le café noir. Il devina à quel genre de sorcier il avait à faire quand leurs mains se frôlèrent à nouveau et qu'il pu voir le visage d'Auggie se figer un instant . Il était très probablement un augure, de ceux qui voyaient, avaient des visions ou autres, parfois très pénibles à tuer, aurait dit un autre chasseur, car ils semblaient pouvoir prévoir un peu tout. Mais Tobias n'avait aucune intention négative, en tout cas pour l'instant, et pouvait se douter que si le sorcier avait une vision de son passé, hors contexte, ce n'était sans doute pas rassurant à voir. Le bruit de la tasse sur le sol le ramena à la réalité et il se baissa en même temps qu'Auggie pour l'aider à ramasser les morceaux éclatés sur le sol dans une flaque brunâtre de café qui, sur le sol sombre semblait être une tache de sang s'étendant inexorablement, comme un autre message criant le danger de la situation. « Écoutez» dit-il dans un murmure, comme si il craignait que d'autres n'entendent, « je ne sais pas ce que vous avez vu, ce que vous croyez de moi, mais sachez que je ne vous veux aucun mal.»

☽La seule présence de Tobias me faisait peur. Avec ces visions, je doutais de tout, de lui, de sa nature. Il était un chasseur de sorcière. D'après ma vision du passé, il avait déjà brûlé des sorcières sur le bûcher et surtout un membre de sa famille allait en brûler un autre dans un futur plus ou moins lointain. Je n'étais pas à l'aise et j'espérais que le trentenaire ne le remarque pas. S'il était vraiment un assassin, je devais rester sur mes gardes, être méfiant et ne pas me montrer vulnérable. Préparer un café semblait l'idéal. Discuter de tout et surtout de rien semblait à mon avantage. Et pourtant... Cette conversation plus que banal me mettait la puce à l'oreille. Mon ressenti face à Tobias ne diminuait pas. Il représentait toujours un danger et d'autant plus depuis que nous échangions des banalités. « Oui oui, course, endurance...Enfin, comme d'habitude. » J'acquiesçais d'un signe de tête lui souriant difficilement. Je lui tournais le dos pour lui servir son café que je faisais finalement tombé à nos pieds. Quel maladroit ! Paraître normal et agir ainsi, c'était le pire qu'il puisse arriver. Ma nature était sûrement compromise. Tobias m'avait sûrement vu sursauter à plusieurs reprises. Il devait se douter de quelque chose. Je m'agenouillais donc pour ramasser les bouts de verre et m'échappais face au regard du chasseur. Malheureusement, il se baissa également et je me retrouvais comme un con à ramasser mon erreur avec lui.

Mon coeur battait la chamade. J'étais effrayé. J'avais peur qu'il m'attaque par surprise et m'égorge sur place. Après tout, il n'y aurait aucune preuve de son passage et seulement Dante ou Lysandre trouverait mon corps quand ils rentreraient. Je n'étais pas à l'aise pendant que Tobias semblait fasciné par cette tâche qui coulait au sol. « Écoutez, je ne sais pas ce que vous avez vu, ce que vous croyez de moi, mais sachez que je ne vous veux aucun mal. » Me murmura-t-il. Je ne comprenais pas pourquoi car nous étions seuls. Je ne répondis rien et me relevais simplement pour jeter les bouts de verre dans la poubelle. J'attrapais une éponge et revenais vers Tobias pour essuyer le café renversé. Je restais un instant à le regarder ensuite, me demandant si je devais lui avouer ces choses que j'avais vu à son sujet ou si je devais me taire. Dans tous les cas, il savait que j'avais vu quelque chose et que j'étais au courant de sa nature. Je devais rester prudent. « Je ne sais pas de quoi vous parlez... » Tentais-je de le convaincre mais face à son regard qu'il portait sur moi, je compris que cela ne servait à rien. Je me relevais donc une fois pour me diriger vers l'évier et nettoyais mon éponge.

Je pensais à mon mensonge. Tobias n'était sûrement pas dupe. Son instinct lui répétait probablement que je n'étais pas sincère avec lui. Je m'en doutais. Je le ressentais. Alors je me retournais pour lui face et m'appuyais sur le rebord de l'évier. Je préférais garder une certaine distance entre nous. « Bon, ok... Vous savez que je mens, ça ne sert à rien de continuer. » Un peu de franchise ne pouvait pas faire de mal. « Je sais ce que vous êtes. Tout comme vous semblait savoir qui je suis. Je vous ai vu brûler cette sorcière. J'ai vu également un vieil homme préparant un bûcher pour un sorcier dans le Mississippi mais ça ne s'est pas encore produit. » Je reprenais ma respiration, déposant mes mains sur le rebord que je serrais fortement. Je ne pouvais pas fuir maintenant. Alors je me préparais à toute situation, même à ma mort prochaine. « Vous allez me tuer aussi maintenant que vous savez ? Parce que si c'est le cas, j'aimerais beaucoup le savoir... » Ma voix était tendue et trahissait mon état d'esprit actuel.

L’ambiance était montée d’un cran au niveau pression depuis que chacun savait qui était l’autre et la qualifier d’électrice ou de lourde n’aurait pas été de trop. Bien évidement Tobias ne crut pas un instant à la vérité de ses propos quand il disait ne pas voir de quoi le chasseur voulait parler, d'ailleurs Auggie lui-même ne semblait pas se croire en parlant. Mais Tob ne dit rien, se contentant de lui aussi aller jeter les quelques morceaux de la défunte tasse à la poubelle avant de s'accouder contre un plan de travail, aux aguets. Dans un sens, si le compagnon de Dante se sentait réellement menacé, et c'était manifestement le cas, sa réaction restait des plus calmes et Tobias se doutait qu'un sorcier mal luné ou tout simplement mauvais ne serait pas resté à taper la causette à un chasseur après lui avoir proposé un café et le superbe loft se serait déjà transformé en champ de bataille n'ayant qu'un but; la survie. Et il n'aurait pas su dire lequel des deux aurait rejoint l'autre monde. Mais bataille ne se ferait semblait-il, sans doute car aucun des protagonistes ne la désirait. Tobias n'avait aucune envie de s'en prendre à Auggie et même, plus largement, de tuer à nouveau. Il ne le ferait qu'en cas de défense, que pour sa survie. Et il avait la nette impression ici que sa vie n'était pas en danger, que le sorcier qu'il avait en face de lui n'était pas une menace, en tout cas cela aurait été surprenant vu qu'il vivait, manifestement heureux, avec un chasseur - même si sa réaction laissait croire qu'il n'était pas au courant de cette dimension de la vie de son cher et tendre - et donc d'un humain, ce qui, d'après ce que Tobias en savait, n'était pas courant chez les sorciers et plutôt signes d'un coeur bon. Et rarement un chasseur se voyait trahit par son instinct.

De toute manière, il avait même l'impression d'être ici la menace, le danger et cela le mettait mal à l'aise, car il détestait se sentir comme cela. Et les propos d'Auggie ne firent que confirmer cette impression. Il avait vu son passé, un extrait, et pas le meilleur. Et il avait aussi eu le futur (bien que cette information apaisa légèrement Tobias car il savait désormais qu'il n'avait plus à s'en faire pour son oncle Abraham, mais il ne laissa par ce soulagement paraitre sur son visage, il aurait pu être incroyablement mal interprété) ce qui conforta le fait qu'Auggie était un augure. Mais la peur et la tension qui transparaissaient dans ses mots et surtout dans sa question finale allaient peser sur la conscience déjà meurtrie de Tobias et lui criaient que ses remords étaient aussi justifiés que la distance qu'il avait prit par rapport à sa "profession". La dernière question acheva le blâme qu'il posait déjà sur son être et il ne pouvait qu'y répondre, ne serait-ce pour calmer sa culpabilité. « Non non non, je ne vais pas vous tuer...» dit-il en baissant un instant la tête avant de la redresser pour plonger ses yeux dans ceux d'Auggie afin qu'il y lise sa sincérité. « Il faut que vous sachiez qu'on nait chasseur comme on nait sorcier. Dès son plus jeune âge on est dans cette logique, dans cet enchainement de traditions familiales autour de la chasse. Et il est impossible d'y échapper.» Il eut un petit soupir avant de reprendre « Ce que vous avez vu n'est pas mon passé le plus glorieux. Mais j'ai fait une croix sur tout ça, j'ai essayé de raccrocher car je ne pouvais plus porter le poids coupable de ces meurtres parfois plus qu'injustifiés. Il existe des monstres des deux côtés et je ne veux pas être l'un d'entre eux.» Il avait l'air extrêmement sincère et sérieux, mais il y avait aussi comme une volonté de justification dans ses propos, comme si au travers de la compréhension d'Auggie, il allait chercher le pardon de ses victimes. « Vous pouvez ou non me croire, mais sachez que je ne vous veux aucun mal et que si je vous en avait voulu, nous ne serions certainement pas en train de parler.»

☽La peur montait en moi. Je n'avais jamais encore croisé de chasseur. Je ne savais même pas que ce genre de personnes existait encore. Les sorciers étaient toujours chassés et je ne faisais que l'apprendre. Après tout, cela ne faisait que quelques mois que j'étais entré de ce cercle privé avec ma sœur, notre mère nous ayant protégé de ce monde le plus longtemps possible. A sa mort subite, tout avait changé et jamais Aeris ou moi-même n'aurions pensé que son décès puisse avoir autant de conséquence sur notre vie. Pourtant, notre quotidien avait bien changé. J'avais des prémonitions, je ressentais les choses pendant que ma jumelle pouvait créer des illusions et donner vie à des objets. C'était ahurissant. A peine un an plus tôt, je n'aurais jamais pu y croire et maintenant, je baignais dans la magie. « Non non non, je ne vais pas vous tuer... » C'était déjà d'un grand soulagement, même si je restais sur mes gardes car, d'après mes lectures, les chasseurs de l'ancien temps n'étaient pas digne de confiance. Alors pourquoi ce fait aurait-il changé aujourd'hui ? Cependant, je lisais la sincérité dans le regard de Tobias et je sentais qu'il me disait vrai. C'était une étrange sensation. Devais-je faire confiance à mon pouvoir ou à ma raison ?

« Il faut que vous sachiez qu'on nait chasseur comme on nait sorcier. Dès son plus jeune âge on est dans cette logique, dans cet enchainement de traditions familiales autour de la chasse. Et il est impossible d'y échapper. Ce que vous avez vu n'est pas mon passé le plus glorieux. Mais j'ai fait une croix sur tout ça, j'ai essayé de raccrocher car je ne pouvais plus porter le poids coupable de ces meurtres parfois plus qu'injustifiés. Il existe des monstres des deux côtés et je ne veux pas être l'un d'entre eux. » Je l'écoutais attentivement, desserrant mes mains du rebord de l'évier. Mes peurs diminuaient au fil des mots du trentenaire. Peut-être étais-je idiot de le croire sur parole ? Mais je voulais garder espoir d'une once de sincérité dans ses paroles. Comme il existait des sorciers appelés par les ténèbres, certains chasseurs devaient tout aussi cruels. Le monde était cruel, sorciers ou non, chasseurs ou non. Je l'avais bien compris et Tobias me le confirmait. « Vous pouvez ou non me croire, mais sachez que je ne vous veux aucun mal et que si je vous en avait voulu, nous ne serions certainement pas en train de parler. » Je soupirais un grand coup, soulagé d'entendre les propos du chasseur, et me détendais soudainement. Je recommençais à bouger, attrapant un nouvelle tasse pour servir le café désiré du jeune O'Donnel. Je le lui servais et lui déposais sur le plan de travail en face de moi. J'évitais tout contact par précaution car je ne voulais pas avoir une autre prémonition. Une seule du passé et une seule de l'avenir m'avait suffit, surtout que je ne contrôlais rien. Mes visions me prenaient toujours au dépourvu.

« Tenez, votre café. Celui-là ne devrait pas se fracasser sur le sol de la cuisine. » Tentais-je d'ironiser en rejoignant mon bureau pour saisir mon mug de café. J'en bus une gorgée. Puis une deuxième. J'allais prendre la parole mais je préférais boire une troisième gorgée plutôt que d'interroger le chasseur sur un sujet délicat. Finalement, je me lançais en revenant vers Tobias. « Dites-moi, j'aurais une question...un peu délicate... Je ne sais surtout pas si vous avez le droit d'en parler ou s'il existe une sorte de code entre chasseurs... » J'étais curieux et ma curiosité naturelle revenait au galop malgré la nature opposée de nos deux mondes. « Bref...heu... Y'a beaucoup de chasseurs dans le coin ? Je demande parce que vous êtes le premier que je rencontre. Et surtout parce que vous êtes le premier et que vous ne voulez pas me brûler vif... » Je n'aurais jamais cru dire ça. Brûler vif... Telle une dinde de Noël... J'en frémissais et n'arrivais pas à imaginer la douleur que cette mort puisse produire. Je l'avais vu. C'était horrible. J'avais entendu les cris de cette sorcière et jamais je ne pourrais l'oublier. C'était vraiment déstabilisant.