Léandre Deveraux & Rafaël Griffin

Je déambulais dans les rues d’Auburndale, mon quartier résidentiel, comme presque tous les soirs où je m’ennuyais et où je n’avais aucune inspiration artistique. Ne sachant plus trop où j’étais, je décidai de m’en remettre à mon intuition. Ce soir, pas de chances pour moi, tous mes « réguliers » avaient eu des empêchements, ce qui faisait que j’étais seul. Mes « réguliers » c’étaient les clients qui désiraient me voir sur une base plus régulière. Ceux qui avaient mon numéro pour m’envoyer des SMS et prendre rendez-vous avec moi. Bien sûr, c’était aussi ceux qui payaient le mieux, puisqu’une relation de confiance s’était établie entre nous deux. Mais ce soir, rien. Quoique, je n’en avais pas vraiment envie. Je menais ce train de vie depuis un bon bout et, sans me lasser, j’étais tombé dans la routine. Depuis notre arrivée à Newton, il m’avait été difficile de reprendre du service, mais je l’avais fait. Je n’en étais pas nécessairement fier, mais j’aimais rencontrer des gens. Chaque personne avait son histoire, même dans un petit patelin comme Auburndale. La nuit était fraîche, c’est pour ça que j’avais choisi d’enfiler, avant de sortir, un pull chaud, des skinnys jeans et mes Doc Martens. J’avais préféré sortir par la fenêtre de ma chambre au lieu d’inventer un mensonge. De toute façon, je ne crois pas que mes parents questionneraient le fait de se retrouver devant une chambre vide. Ils ont pris l’habitude à force de m’entendre revenir de mes expéditions nocturnes vers les deux heures du matin. Ils croient tout simplement que j’explore la ville. Et, pour être honnête, je n’ai pas l’intention de leur parler de mes activités. Mon iPhone vibra dans ma poche de jean, mais je n’avais pas l’ambition de regarder pour savoir qui m’envoyait un SMS. Un ami de Los Angeles ? Un client désespéré parce que ses plans ont échoués ? Qui sait ? Je ne le saurai moi-même qu’une fois sorti de mes rêveries dans ce quartier qui était devenu le mien. J’écoutais de la musique et c’était suffisant pour me faire voyager, je continuais d’avancer mais mon esprit planait à des lieux d’ici.

Léandre Deveraux & Rafaël Griffin

Vous la connaissez cette sensation que vous essayez délibérément de retrouver alors que vous sachez pertinemment que c'est peine perdu ? Et bien, c'était moi, maintenant. Marchant tranquillement dans les rues nocturnes d'Auburndale, je n'avais aucun objectif. J'errais, seul, plongé dans mes pensées. Je me remémorai de cette nuit qui s'était déroulée deux ans auparavant ; le soir de mon anniversaire où j'avais été appelé par la lumière. Baigné dans un bonheur immense,où tous mes soucis s'étaient évaporés l'espace d'un instant. Cette sensation, je voudrais la retrouver. Parfois, de temps à autre. Comparée à une certaine jouissance, elle semblait être la clé de la perfection. Râlant, j'en conclus que je perdais mon temps à me promener tel un délinquant dans les rues du quartier. D'un pas rapide, je scrutais chaque coin de rue avant de m'arrêter brutalement, repérant une ombre dans la nuit. Dans une nuit comme Newton, il demeurait très rare de voir des personnes marcher dans les rues en pleine nuit. Les personnes dormaient dans leur habitat, tandis que les noctambules s'engouffraient dans certains bars nocturnes de la ville. Trop curieux, je m'obstinais à savoir qui semblait être de sortie à cette heure-ci de la nuit. « Hé, Hé ! » D'une voix à demi-mesure entre le chuchotement et le hurlement, j’exécutai un signe de la main, me faisant remarquer. Certaines personnes pourraient me considérer comme fou mais j'étais persuadé que dans un quartier comme Auburndale, le danger semblait absent si on enlevait la partie surnaturelle.

Léandre Deveraux & Rafaël Griffin

La nuit était devenue plus fraîche, et je frissonnais légèrement, j’essayais de l’oublier, de penser à autre chose. Et étrangement, ça semblait fonctionner. Même si je ne sentais plus vraiment le bout de mes orteils, la douce musique jouant dans mes oreilles me gardait au chaud. Je ne marchais pas en fait, j’errais. Je n’étais que le reflet de moi-même, encore perdu dans mes pensées, dans ma bulle. La lune brillait, faisant refléter des ombres inquiétantes qui m’auraient apeuré si je n’avais pas eu ma musique pour m’apaiser. Habituellement, j’avais peur du noir, et des clowns, mais la possibilité de rencontrer un clown dans Auburndale me surprendrait. Alors, je me concentrais sur la noirceur. Cette sombre présence qui m’enveloppait et me tourmentait, loin d’être réconfortante.  Je mis mes mains en conque autour de ma bouche et soufflai un coup d’air chaud dedans, dans le simple but de me réchauffer. Même si la nuit me faisait peur, je m’y sentais bien, je m’y sentais chez moi. C’était ici que je prenais mes conquêtes, c’était la nuit que mes actions peu puritaines se concrétisaient, c’était là que je prenais vie, en quelque sorte. J’entendis un crissement, des bruits de pas. Machinalement, sans vraiment y penser, je retirai mes écouteurs de dans mes oreilles. Je n’hallucinais pas, j’avais bel et bien entendu un bruit. Mais, dans la noirceur, il était impossible de définir d’où provenait le bruit, ou même d’identifier s’il y avait réellement eu un bruit. Je me sentis observé. « Hé, Hé ! » Je sursautai, surpris et sous le choc, la Voix était réelle et la Voix venait de m’interpeller. J’essayais de percer qui venait de s’adresser à moi. Voix masculine, évidemment. Ni trop grave, ni trop aiguë. Une voix mignonne, en un sens. « Bonjour ? Euhm…Bonsoir ? » Je me sentis stupide, bonjour, évidemment, fallait que je gaffe, quel con.  Je me repris immédiatement, espérant que mon mystérieux interlocuteur n’ait pas remarqué ma gaffe. « Vous...Vous êtes perdu ? Il n'est pas un peu tard pour arpenter les rues d’Auburndale ? » demandais-je. Une pointe de provocation dans la voix, tout en essayant d’avoir l’air d’un adolescent tout à fait normal. Quoique, je ne connais pas beaucoup d’adolescent tout à fait normal qui se promènent dans les rues de leur quartier aux alentours de, je regardai ma montre pour une meilleure approximation, onze heures cinquante-huit minutes, chouette. J’avais passé environ deux heures à me balader dans les rues, sans but précis, en ayant probablement l’air très louche.

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« Bonjour ? Euhm…Bonsoir ? » J'eus un petit pouffement de rire qui s'extirpait de mes lèvres. En temps normal, les gens semblaient apeurés, paralysés par les ténèbres. Entendre une voix dans la noirceur provoquait un cri plaintif de la personne, la poussant à fuir. Aussi à l'aise que moi, la voix masculine enchaina donc, s'inquiétant pour ma part. « Vous...Vous êtes perdu ? Il n'est pas un peu tard pour arpenter les rues d’Auburndale ? » Le vouvoiement me troublaient mais aussi le ton de la personne, impliquant que cette dernière était habituée aux promenades nocturnes, n'ayant guère peur du monde des ténèbres. Minuit s'approchait inexorablement et je me décidai aussi à avancer vers la lumière pour faire face à l'inconnu et voir son visage. Mes yeux bercés par la lumière grisonnante du réverbère, je fus surpris de voir un jeune homme, ayant sûrement le même âge que moi. Alors ses parents le laissaient trainer à cette heure-là, tout seul. Non pas que cette consigne s'appliquait à moi mais j'étais en dehors de la banalité. Ma mère m'égorgerait à l'idée que je puisse me promener en pleine nuit, or complices, elle et moi, elle m'offrait une grande liberté. Essayant de prendre un air décontracté et comme si je m'en foutais, je déclarais : « Euhm, non, j'habite dans le quartier depuis de nombreuses années, déjà ... Et rarement, il m'arrive de me promener ... Par contre, toi, c'est bien la première fois que je te vois dans les parages. » A contrario, j'avais employé le "tu". Loin d'être dans l'impitoyable monde des adultes, je préférais être proche de mes semblables. Oui, à vingt heures, je restais encore jeune. Cependant, à mon tour, c'était à moi de m'inquiéter pour lui. Jamais je n'avais vu son visage auparavant. Et fréquenter les rues de Newton pour un inconnu pourrait s'avérer particulièrement risqué. « J'suis sûr que la première personne qui m'aurait entendue se serait enfuie ... mais pas toi, curieusement. » Soudainement, il devenait un mystère pour moi. Et si d'ailleurs, il était un sorcier avec un don offensif unique. Alors, ceci expliquerait cela et il n'aurait plus qu'à me tuer sur le champ pour l'avoir insulté. M'instaurant dans une paranoïa, je préférais croire à l'humanité. Si Newton pouvait être infesté de sorciers, il restait de l'humanité. Bougeant mes mains comme si j'expliquais un discours, je prévenais juste du danger qui pouvait rôder : « Enfin, j'suis pas menaçant. Mais paraît que y'a des gens pas cleans dans les rues à cette heure-là et vaut mieux rester sous sa couette à rêver. » Hypocrisie totale, je me sentis con face à ma remarque. Et moi, à cette heure-ci, je devrais aussi être blotti dans mes draps à lire un ouvrage.

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La lumière jaunâtre du réverbère sous lequel nous étions m’avait révélée mon interlocuteur. Un jeune homme, à peu près le même âge que moi, charmant. Les cheveux courts, les yeux accompagnés d’un regard perçant, la dégaine décontractée, il ressemble à n’importe quel jeune adulte typique. Il semble troublé par ma présence, comme si la rue lui appartenait. Lui aussi devait être un fervent admirateur des balades nocturnes, à en juger rapidement par son aisance et sa manière de me répondre. « Euhm, non, j'habite dans le quartier depuis de nombreuses années, déjà ... Et rarement, il m'arrive de me promener ... Par contre, toi, c'est bien la première fois que je te vois dans les parages. »  Je m’étais trompé, il ne marchait que rarement, selon ses dires. Alors, ma deuxième déduction est simplement que, comme certaines personnes, cet étranger. Je le fixais, soutenant son regard. « Ouais j’ai euhm, on, bah, ma famille en fait, a emménagé ici il y a environ deux mois. Ma mère est née et a passée toute son enfance ici. Elle voulait faire un genre de retour aux sources ou je sais pas trop quoi. Los Angeles c’était trop pour elle faut croire. » En fait, il avait l’air gentil. Il m’avait immédiatement mis confortable. C’était plutôt quelque chose qu’il dégageait qui me rendait confortable à discuter  avec lui. De toute façon, ce n’est pas comme si j’étais une personne timide à l’habitude. J’étais plus à l’aise avec les étrangers qu’avec ma propre famille. Un étranger était plus souvent une personne à qui on pouvait se confier puisqu’on avait la chance de ne plus jamais le revoir par après. « J'suis sûr que la première personne qui m'aurait entendue se serait enfuie ... mais pas toi, curieusement. » Je ris légèrement, peut-être espérait-il me faire peur ? Mais, je n’avais pas peur de lui. Il m’inspirait la confiance et semblait être une bonne personne. Je me prenais encore à le fixer, sans aucune retenue, ce qui différait de mes habitudes. Le fait qu’il prenait la peine de me tutoyer me fit comprendre qu’il était un garçon aimable et sympathique, pas gêné de nature. « La noirceur m’a toujours réconfortée. J’ai pas peur de beaucoup de choses, surtout pas des voix dans la nuit. Si t’avais été un clown, je serais surement parti en pleurant. Mais bon, tu m’as l’air bien normal avec ton nez couleur peau et tes baskets de taille normale. » Je ris, à la vision de ce jeune homme habillé en clown. Je le tutoyais à mon tour, sentant une relation de confiance s’établir entre nous deux. Ce qui était ironique, en un sens. Une personne que je n’avais jamais rencontrée auparavant me semblait plus sympathique que la plupart des gens que j’ai rencontrés au courant de ma vie.  «  Enfin, j'suis pas menaçant. Mais paraît que y'a des gens pas cleans dans les rues à cette heure-là et vaut mieux rester sous sa couette à rêver. » Je le regardais dans les yeux, essayant de ne pas lui rire au visage. Car je n’aurais pas pu contrôler de mettre dans mon rire une pointe de moquerie. « On t’as jamais appris à appliquer les conseils que tu donnais aux autres ? Qui sait, ça pourrait jouer contre toi éventuellement. » Je ne voulais pas que mon commentaire sonne comme une menace, mais je trouvais ça un peu stupide qu’il ne suives pas ses propres avis. Que faisait-il à se promener dans la rue si tard ? Qui était-il ? Toutes ses questions, mais aucunes réponses. J’étais intrigué par cet étranger, il me donnait étrangement envie d’en connaître davantage sur lui, de me pencher sur son cas. « Tu veux dire quoi par "pas clean" ? Et d’ailleurs, toi, de toute façon, t’es qui ? Ma mère m’a toujours dis de pas parler aux inconnus. Et…surtout pas à cette heure. Et tu fais quoi ici à cette heure ? Les rues sont dangereuses pour tout le monde j’imagine. » Je ne voulais pas l’effrayer, loin de moi. Juste histoire de faire sûr qu’il soit aussi "clean" que ce qu’il le faisait entendre. À savoir, peut-être était-il un de ces sorciers diaboliques un peu siphonnés dont ma mère m’avait tant parlé. Le genre qui me tuerait si je ne lui obéissais pas au doigt et à l’œil. La plupart du temps, j’essayais de me méfier de ceux-là, mais, je ne pouvais jamais savoir, à moins qu’ils ne se confient à moi. J’étais dans le doute absolu avec ce jeune homme. Qu’était-il au fond ? Il n’y avait qu’un seul moyen de le savoir, et ce n’était pas en m’enfuyant que j’allais être fixé sur sa nature. Je frissonnais légèrement. « Et si ça te déranges pas, on pourrait continuer à marcher ? Je suis totalement frigorifié. »